vendredi 17 septembre 2010

Ces choses qu'on ne dit pas











Il y a des choses qu'on ne dit pas.  Comme Yves Duteil, j'aurais aimé ajouter : " Parce que les mots n'existent pas " . Mais non, je suis loin de cette poésie, car en m'installant devant ma page ce soir, je pense plutôt à toutes ces choses que je n'ai pas dites aujourd'hui, par lâcheté, pour rester polie...

Comme le : " Tais-toi , cela ne m'intéresse pas ! ",  que j'aurais voulu lancer à cet ami bavard, au lieu de l'écouter comme je l'ai  fait, en souriant, la tête ailleurs, jusqu'à la fin de son récit.

Maintenant encore, il y a dans mon miroir, cette femme à qui j'aurais voulu dire : " Tu es en train de te fourvoyer, rien de tout cela n'est important ".  Mais j'ai cette page à écrire, et j'ai demandé à la femme du miroir de m'aider à la remplir, donc je n'ai pas osé lui dire ses quatre vérités.

La journée est terminée.  Il fait nuit, tout est silencieux. L'air, tout comme les vêtements de la journée que je porte encore, est imprégné de toutes ces choses qu'on ne dit pas...

A cette personne rencontrée par hasard ce matin et qui, le douze janvier, a vu toute sa famille disparaître sous les décombres, j'aurais voulu exprimer mon chagrin, mon énorme sentiment d'impuissance et d'inutilité devant le drame de sa vie.  J'aurais tant voulu lui dire que, quand je pense à tous ces maux qui l'accablent, j'ai honte d'être en vie...  mais les mots qui sont sortis de ma bouche ont été : " Mes sympathies ".

A ce dîner où l'on discutait des nombreux problèmes d'Haïti, quand quelqu'un m'a demandé comment je voyais l'avenir de mon pays,  alors que j'allais ouvrir la bouche pour répondre : " Il est foutu ",  j'ai choisi, dans une longue envolée optimiste, de parler de l'engagement citoyen.

Après une tournée en ville, tôt ce matin, j'ai voulu pleurer, hurler ma douleur devant ces ruines et cette misère croissante, crier que ce n'est pas possible, que c'est injuste, que Dieu n'existe pas ; mais refoulant ma rage et mes larmes, j'ai choisi de dire : " Cela fait pourtant huit mois, comme les progrès sont lents ! "

Il y a des choses que l'on n’exprime pas. Pour rester fort. Pour se berner soi-même. Pour berner les autres  parfois. Pour continuer à vivre, pour poursuivre le combat...

A ce grand sot qui feignait ce soir d'ignorer ma présence, j'ai eu envie de glisser un : "Je t'aime bien tu sais", mais j'ai fait semblant de l'ignorer moi aussi.

Mon amie était en larmes et je n'étais qu'à deux secondes de la prendre dans mes bras, mais quand j'ai ouvert la bouche, c'était  pour lui dire qu'il se faisait tard et que je devais rentrer chez moi.

A  ces gens attablés avec moi,  j'ai eu envie demander leur propre perception du bonheur ; mais quand j'ai eu parlé, c'était plutôt pour demander qu'on me passe le beurre.

Il y a des risques que l'on ne prend pas... Pourquoi ? Allez savoir !   Pour ne pas se montrer vulnérable.   Par peur de l'autre aussi, je crois. Parce qu'on ne sait jamais comment la spontanéité sera reçue.  Alors, on choisit de dire ces mots qu'on croit que les autres attendent de nous. Ou bien on se tait.

Réprimant un fou rire devant le faciès d'un dénommé " tèt boulett "  je lui ai adressé, le visage impassible,  une salutation d'une banalité désolante.

A la question : "Es-tu heureuse, toi ?"  posée une amie, d'un ton dramatique, j'ai laissé s'évanouir le souriant "oui" que je m'apprêtais à répondre. "Est-on jamais totalement heureux...?" répondis-je plutôt gravement...

Il y a des choses qu'on ne dit  pas, comme celles qui racontent notre joie.  Pourquoi ?  Pour rassurer les autres.  Parce que la vie n'est vivable que comme cela.

A ce vieil homme qui essaie de gagner ma sympathie je voudrais dire et redire : "Je ne t'aime pas", mais ce qui sort chaque jour de ma bouche c'est : "Bonjour, ça va ?"

A ce collaborateur qui, ce matin, se confondait en de plates excuses, j'ai eu envie de dire : "Je ne m'attendais pas mieux de ta part, " ; mais j'ai préféré le rassurer, en lui disant : "Ce n'est pas grave, ne t'inquiète pas ".

Un commerçant se plaignait gentiment de ne plus recevoir de mes visites à son magasin.  J'aurais dû lui répondre : " Chez toi c'est trop cher, tu ne me verras pas souvent " ; mais je lui ai tout de même dit en souriant, que ces jours-ci,  je n'avais pas beaucoup de  temps.

A la vermine, j'ai écrit : " Madame ", à une canaille, j'ai dit " Monsieur "....

Il y a des choses qu'on ne nomme pas... Pourquoi ?  Parce qu'il faut en prévoir les conséquences, sans doute.  Parce que la vérité blesse, Pour être aimable. Par intérêt aussi, je crois.

Il y a des choses qu'on ne dit pas.  Et j'ai passé ma journée à taire toutes ces choses-là. Pour garder dans mon langage celles que l'on dit.  Le "je t'aime" était pour qui voulait l'entendre, et le "Vive Haïti" a été prononcé à un moment bien choisi.

Aujourd'hui j'ai été très polie, et complaisante.  Trop, et cela m'ennuie.  Peut-être pourrais-je mieux terminer la journée, en vous disant sur ces pages, que je n'étais pas réellement inspirée, que je n'avais pas envie d'écrire, que je l'ai fait par habitude, pour faire plaisir.

Et que derrière ces lignes que vous venez de lire, il y a plein de choses qui ne s'écrivent pas...