mercredi 16 mars 2011

Maudite tête ailleurs !





Qui est notre mémoire ? Et ou est notre mémoire ?
Nous vivons chaque jour l'histoire, mais qui va la raconter ?
Fera t-on croire à nos enfants et arrières petits-enfants que tel ou tel filou ou clown du monde politique d'aujourd'hui était un héros ? Ce quotidien baignant dans tant d'incohérentes divisions, et d'intérêts malsains, quel compatriote est en train de le raconter aux futures générations ? Et avec quelles visières ?

Un historien pourtant connu pour être crédible et impartial dans ces analyses  m'a annoncé l'autre jour, dégouté qu'il ne "perd" plus son temps à écrire pour la postérité. Dépendrions nous d'une poignée de bénévoles autonomes ? Ou du lobbying de politiciens soucieux de garder leur nom "propre" dans l'histoire ?  Ou de l'analyse boiteuse de quelques amateurs ? Ou sont les historiens crédibles ? De grâce dites moi qu'ils sont en train de travailler pour nos descendants...

  Dans cette confusion ambiante, cette lutte acharnée et impitoyable pour la survie, devant les anomalies grotesques, l'audacieuse fourberie des acteurs actuels de la politique haïtienne, qui est entrain de rester impartial ? Qui n'est pas dégoûté d'écrire ? Qui a le souci de la vérité et du futur  ?

Il y a  une demi heure, devant mon dit "petit" écran, je regardais horrifiée et incrédule, "l'actualité nationale"... Maintenant, la tête ailleurs, je me laisse aller à une rêveuse inquiétude, en imaginant un terrible futur,  un futur célébrant de faux héros et racontant une histoire partiale et trompeuse. J'imagine des récits et textes  historiques glorieux jonchés de canonisations financées par un argent depuis longtemps évanoui dans la crasse de la survie, puis dans la poussière de la  mort et de l'oubli...

J'imagine ces fameuses missions pour la paix présentées en trois misérables lignes, à la Roume, Mirbeck et Saint Léger...leurs chars de guerre dessinés soigneusement sur une large page d'un livre, comme étaient illustrées la Pinta, la Nina et la Santa Maria... J'imagine les noms, de nos trop nombreux présidents de 1971 à nos jours, listés en lettre d'or... Je vois de là "l'étranger" photographié en costume, sourire aux lèvres et présenté en sauveur de la République... j'imagine aussi pourtant, malgré tous ces sauveurs nationaux et internationaux, vision désolante, notre côté de l'île encore dans le même état... et le même état gérant notre côté de l'île... La vision est familière... une nation délabrée, éventrée, pillée, célébrant les bienfaits du passé...

N'est-ce pas ce qui nous attend ? Sommes nous autre chose qu'une "opportunité" pour les nombreux dirigeants et bienfaiteurs ?  Haïti arrivera  t-elle quelque part, quand elle continue d'être gérée par la cupidité, les intérêts personnels, l'irresponsabilité, la démission, l'ignorance et l'incurie.

La tête ailleurs, je visualise mes petits-enfants, ânonnant comme on nous  apprend à le faire à l'école, la longue liste des "bienfaiteurs de notre nation". J'entend d'ici leur petite voix criarde et innocente, nommer des "sauveurs de la patrie" ou "héros"  ces gens que j'appelle moi aujourd'hui des voleurs, des incompétents, des avides de pouvoir ou des vicieux... Et cette vision me donne froid dans le dos...

A quoi ressembleront-t-ils mes petits descendants ? Je les imagine volontaires et passionnés comme ma mère, obstinés comme mes fils...Seront-ils à l'école en Haïti ? Haïti sera t-elle même leur patrie ? Je me surprends parfois à souhaiter que non... Tout comme des fois dans une flambée d'optimisme, je les imagine faisant partie d'une génération glorieuse de bâtisseurs... Seront-ils honnêtes mes petits enfants ? Véhiculeront-ils les belles valeurs familiales ? Quels intrus, quels "étrangers sans visage et sans nom" viendront changer le cours des choses et l'histoire de notre famille ?

J'aurais souhaité me tromper mais je sais que mon inquiétude est légitime. Parce que, d'une génération à une autre, pis, d'une année à la suivante nous balayons l'histoire, d'un revers de main pour recommencer des erreurs impardonnables, pour célébrer la honte et pour justifier notre démission.

Nous méritons sans doute comme a dit l'autre, les gouvernements que nous avons eu jusqu'ici. Une très courte mémoire que la nôtre. Une qui oublie les échecs, les crimes et le sang, qui fait sourire et serrer la main à l'ennemi, qui nous enferme dans nos "petites affaires"  et nous aveugle au point de nous faire oublier que nos "petites affaires" dépendent de nos valeurs et notre environnement social, politique, économique, et que toutes ces choses sont indiscutablement  conséquences de notre passé collectif.
Ah que j'aurais aimé de préférence pouvoir écrire l'histoire !

Maudite tête ailleurs ! qui a choisi de préférence le chemin des émotions. Sur ces chemins ou elle me mène, chemins parés de sentiments et de doutes, aucun nom, aucun fait précis, aucune chronologie, ne racontent Haïti. Dans mes mots aujourd'hui, il y juste la déception du présent et la crainte du futur. Il y a de l'imagination aussi, et des émotions bien négatives, je le crains... Mais des émotions qui diront quand même, je l'espère  à mes petits enfants qu'ils ont tout comme le devoir de la faire du mieux qu'ils peuvent, le droit de questionner l'histoire...